logo

logo

Le plus GROS scandale financier du Maroc

Édition N° 1284 du 05/06/2002
CNSS: LE PLUS GROS SCANDALE FINANCIER DU MAROC

. Le préjudice depuis 1972 équivaut à 80% de la dette extérieure et au tiers du PIB du Maroc. Gourja, El Alj et Haddaoui tenus pour responsablesC'est une véritable bombe que dévoile le rapport de la Commission d'enquête sur la CNSS. Il se révèle aussi accablant et dépasse sans doute celui du CIH. Ce document, gros de 326 pages, sera présenté demain 6 juin à la Chambre des conseillers et discuté le 26 juin. Et son transfert à la Justice n'est pas à écarter. La Commission a passé au peigne fin trente ans de finances de la Caisse dont le préjudice se chiffre à 47,7 milliards de DH. Ce montant principal porte sur les cotisations que la Caisse n'a pas récupérées et les allocations indûment versées. S'ajoutent la surévaluation des marchés et des dépenses de gestion. Les membres de la Commission ne se sont pas arrêtés là. Ils ont estimé que les montants dilapidés s'élèvent à 115 milliards de DH depuis 1972. Et ce en tenant compte des intérêts que le montant principal aurait générés s'il avait été placés auprès de la CDG au taux normal ou au taux des bons du Trésor, ces intérêts sont estimés à 67,7 milliards de DH! Pour montrer la taille colossale des montants dilapidés au niveau de la CNSS, la Commission a procédé à des comparaisons avec des postes budgétaires de l'Etat. A titre d'exemple, ce préjudice est équivalent aux recettes de l'Etat en 2001, y compris celles de la privatisation. Il représente une fois et demie les dépenses de fonctionnement de l'Etat pour la même année et plus de six fois les dépenses d'investissement. Mieux encore, ces pertes correspondent à 80% de la dette extérieure de l'Etat en 2001, et le tiers du PIB de l'année 2000. Les constats dressés par les conseillers ne sont pas nouveaux. La gestion de la Caisse a toujours été critiquée (www.leconomiste.com). Mais cette fois, les conseillers sont revenus à la charge, avec des chiffres et des preuves à l'appui. Les conclusions ont été scindées sur deux périodes: la première s'étale de 1972 à 1992 et la seconde de 1992 à 2002, date à laquelle la Commission a bouclé son rapport. Parmi les “dysfonctionnements” relevés durant la première phase, figure l'absence d'une comptabilité fiable. “La Caisse tient plusieurs comptabilités à la fois qui ne sont pas crédibles”, selon le document. Sont aussi citées “l'absence de contrôle dans l'attribution des indemnités ainsi que les falsifications des documents et des données”. Le système d'archivage est inexistant. Les conseillers ont relevé que “des incendies ont été parfois provoqués pour détruire les documents rassemblés. De même, de fausses rumeurs circulaient sur des inondations pour justifier la disparition de documents”. Pour les conseillers, il s'agit là de prétextes pour camoufler les opérations douteuses. Des violations du système informatique sont également signalées. Elles ont servi, selon le rapport, à introduire de fausses informations pour attribuer des droits indus. Ce fait avait déjà été relevé par le ministère de Finances au début des années 90… sans suite.Concernant la seconde période, la Commission indique que même si la Caisse a procédé à de nombreux audits, elle n'a pas su en tirer profit puisqu'aucune évaluation du préjudice n'a été effectuée. Les comptes n'ont toujours pas été certifiés et les pratiques “douteuses” ont continué. C'est le cas de la passation des marchés par entente directe et l'utilisation illégale de certains comptes de la Caisse. Pour les élus, les torts causés à la CNSS sont dus notamment à la mauvaise gestion et les orientations erronées du Conseil d'Administration. Preuves à l'appui, les conseillers brandissent d'abord la disposition entérinée par le Conseil en décembre 1974 qui porte sur la construction de la première polyclinique de la CNSS. “Cette décision illégale a causé la perte de milliards de DH”, souligne le document. Ensuite, ils accusent le Conseil d'Administration d'avoir pris des décisions “contraires aux intérêts de la CNSS”, par exemple le recrutement de 431 personnes même si elles relevaient d'une société de nettoyage (NDI) en conflit avec la Caisse (ce litige a été porté devant les tribunaux). Le protocole d'accord signé entre la CNSS et le ministère du Travail ainsi que le département de la Santé et le Centre hospitalier Ibnou Rochd en l'an 2000 est également qualifié d'illégal. Il porte sur la mise à la disposition de ce centre de 3 millions de DH pour appuyer le projet de greffe de la moelle. Décision en totale contradiction avec la vocation même de la Caisse qui ne doit pas financer ce type de projet. Par ailleurs, les conseillers n'ont pas manqué de mettre le doigt sur la responsabilité de la direction générale de la CNSS. Selon le rapport, la double signature n'était pas imposée pour l'essentiel des budgets (5/6) qui relèvent directement du directeur général. La direction générale de la CNSS “est tenue pour responsable des principales anomalies identifiées”, notamment au niveau des frais de fonctionnement avec des salaires qui absorbent en moyenne 358,5 millions de DH par an. Les critiques aux dirigeants de la Caisse portent aussi sur les embauches effectuées sur contrat sans que les raisons avancées soient convaincantes. De même pour la passation des marchés qui n'obéit pas aux lois en vigueur et s'effectue par entente directe. Les conseillers parlent même de “complaisance” et relèvent que ces “marchés ont été attribués aux mêmes entreprises qui comptaient parfois le directeur général de la CNSS parmi les actionnaires”. Le rapport cite aussi le montant de près de 790 millions de DH “disparu” du compte “Soins de Santé France”, qui était sous le contrôle direct de la direction générale de la Caisse jusqu'en 1989. Le rapport consacre tout un paragraphe à ce volet relatif aux soins dont peuvent bénéficier les MRE et leurs familles au Maroc, dans le cadre d'un accord de coopération entre le Royaume et la France. Ce compte a été détourné pour l'achat de matériel médical, le paiement de certains salaires ou encore des prêts pour des polycliniques et des prêts dont ont bénéficié des médecins et des employés de la Caisse.Pour l'essentiel, les conseillers mettent en cause la responsabilité de Mohammed Gourja qui a géré la Caisse du 9 avril 1971 au 11 février 1992, Mohammed El Alj (11/2/1992 au 1/5/1995) et Rafiq Haddaoui (1/5/1995 au 10/4/2001). La Commission a également indiqué que “la gestion de l'actuel directeur général, Mounir Chraïbi, n'a pas connu de changement”. D'autres dirigeants de différents départements ont également été cités pour leur participation à ce scandale financier. Par ailleurs, la Commission a formulé de nombreuses recommandations. Mais celle qui risque de susciter de vives critiques est l'opposition des conseillers à la gestion de l'assurance maladie obligatoire par la CNSS. “La Caisse n'est pas apte à gérer cette couverture. Elle ne dispose pas d'une bonne expérience dans la gestion des cotisations et des allocations. La Caisse ne maîtrise pas son métier de base”, estime le rapport.
________________________________________
48 personnes entendues
Les travaux de la Commission d'enquête parlementaire, présidée par Rahou El Hilaa, du Front des Forces Démocratiques, ont duré 173 jours. La Commission a auditionné 48 personnes, dont des anciens responsables de la Caisse. C'est le cas de Abdelmoughit Slimani, ex-secrétaire général et de Rafiq Haddaoui, ex-directeur général ainsi que Mohammed Gourja, ancien dirigeant de la Caisse. Par ailleurs, la Commission a établi une liste de 500 entreprises considérées comme débitrices de montants importants. Reste que pour des observateurs, des doutes peuvent être émis sur la qualité de certaines informations concernant quelques entreprises.

Khadija MASMOUDI
(Source : http://www.leconomiste.com/article/cnss-le-plus-gros-scandale-financier-du-maroc)